90ème anniversaire de la LICRA
Discours de François de Rugy, Président de l’Assemblée nationale
Monsieur le Président d’honneur Alain Jakubowicz,
Monsieur le Président Mario Stasi,
Mesdames et messieurs les membres du comité d’honneur de la LICRA,
Chers collègues députés,
J’ai le plaisir d’accueillir à l’Hôtel de Lassay la soirée des 90 ans de la LICRA, une association ayant compté parmi ses membres les plus éminents des parlementaires au parcours remarquable. Je n’en citerai que trois : Léon Blum ; Pierre Mendès-France et Jean « Pierre-Bloch », élu du Front populaire, résistant, réélu en 1945, membre de la Haute Cour spéciale ayant jugé Pétain. Je salue la présence ce soir parmi nous de Tristan Mendès-France, Président de la Fondation Mendès-France et de Claude « Pierre-Bloch », doyen d’âge de la LICRA.
Votre association mène des combats justes contre le racisme et l’antisémitisme ; combats dont la permanence se rappellent à nous avec acuité à l’occasion d’événements récents où l’antisémitisme a de nouveau frappé. Je pense ici à la nouvelle profanation de la stèle de souvenir d’Ilan Halimi.
La charte antiraciste de la LICRA proposée aux candidats aux Présidentielles et aux Législatives, dans la tradition de ce qu’elle avait fait aux élections de 1936, 1951 ou 1956, met en avant deux engagements auxquels nous, représentants de la Nation, ne pouvons que souscrire : s’engager à rejeter toute forme de racisme, d’antisémitisme, de xénophobie et d’homophobie, par souci d’éthique républicaine, de cohésion nationale et de paix civile ; s’engager à combattre et à faire battre dans les urnes tous ceux qui bafoueraient ces valeurs antiracistes.
Je salue la création du groupe parlementaire informel « Jean Pierre-Bloch » et je souhaite qu’il fonctionne en totale synergie avec les futurs Groupes d’études institués par le Bureau de l’Assemblée nationale et qui travailleront aussi sur ces sujets, je pense notamment au groupe d’études sur l’antisémitisme et à celui sur les discriminations.
Ces mobilisations ne sont simplement utiles. Elles sont indispensables, et du point de vue de notre République, vitales. Au sens premier du terme.
Parce que cet événement, votre événement, prend sa place dans un contexte particulier, que je ne veux pas occulter, et dont je souhaite dire quelques mots.
Le débat politique et intellectuel en France est insidieusement gangréné par une triple imposture : une instrumentalisation malsaine et malhonnête de notre passé, un pari délétère sur l’avenir, un aveuglement coupable sur le présent.
Lorsqu’est distillée l’idée d’une France qui serait raciste par essence, par nature esclavagiste, par nature colonialiste, lorsqu’on emploie sans discernement le qualificatif de nazis, c’est bien le message de la République que l’on tente de disqualifier. La banalisation du racisme et de l’antisémitisme commence par-là : par les comparaisons plus que douteuses, par les analogies scandaleuses.
Nous avons donc un devoir que nous devons à celles et ceux qui viennent, à la jeunesse : celui de conserver la mémoire de cette histoire qui est la nôtre, et que nous ne pouvons laisser souiller par de petits calculs politiciens, ou de petits choix éditoriaux.
Et votre histoire, celle que nous célébrons ce soir, est une pièce de ce puzzle que nous devons sans cesse préserver, quand tant d’autres s’échinent à le déconstruire, au point qu’on n’en verrait plus le sens.
A cette instrumentalisation historique, s’ajoutent des choix pour l’avenir. Et je veux dire ici, en cette enceinte ô combien symbolique, où s’est élevée en son temps la voix forte et juste d’Aristide Briand, que notre modèle, le modèle républicain, c’est celui de la laïcité. Une laïcité qui n’a besoin ni d’être qualifiée, ni d’être enfermée dans ce qui deviendrait un nouveau dogme : une laïcité qui garantit à chacun les conditions effectives de l’exercice de sa propre liberté. Une laïcité qui permet de ne pas croire, sans interdire à autrui de pratiquer sa foi. Une laïcité qui permet aux croyants de croire, sans jamais imposer à autrui les préceptes qui la fondent. Une laïcité fondée sur le principe de neutralité absolue de l’Etat et des agents publics, car la foi est une affaire privée qui n’a de valeur que si elle le demeure et que si elle est la conséquence d’un choix personnel, intime, et non le résultat d’une quelconque injonction sociale.
Or, la laïcité est aujourd’hui au centre d’une campagne de dénigrement, victime de tentations de pervertissement de son sens, comme de ses manifestations concrètes.
En organisant la reconstitution du procès de Samuel Shwartzdard au Palais de Justice de Paris, avec la participation de Robert Badinter, vous allez rappeler l’origine de la LICRA, qui était la Ligue contre les pogroms.
Mais votre organisation, dès 1932, a ajouté à sa vocation première – la lutte contre l’antisémitisme – la revendication de la lutte contre le racisme.
Comment ne pas saluer cette décision, qui traduit tout à la fois que racisme et antisémitisme sont deux dangers distincts dans leurs fondements, mais qui empruntent les mêmes ressorts criminels, et aboutissent aux mêmes intolérables manifestations.
A l’heure où quelques beaux esprits embrumés ou certains pseudo-humoristes et vrais idéologues de la haine s’emploient à attiser une écœurante concurrence des mémoires, ce choix, qui fut celui de la LICRA en 1932 et s’est traduit dans votre acronyme en 1979, doit sonner comme un rappel pour l’avenir : on ne peut pas être antiraciste si on est antisémite.
C’est bien en refusant toutes les discriminations, en refusant un relativisme toujours synonyme d’abdication de l’exigence et toujours préalable à l’excuse des crimes, que l’on pourra continuer à avancer sur la voie républicaine.
Et cette voie républicaine, c’est celle de la laïcité.
Mesdames et messieurs, cette perversion de l’histoire, cet aventurisme inconscient, ont une racine commune : un aveuglement sur le présent.
Et je veux, là encore, saluer votre action pour aider notre société à conserver les yeux ouverts et à regarder la réalité en face.
Par les actions que mène la LICRA, de sensibilisation, d’information, mais également de dénonciation et de poursuite des manifestations de haine, vous contribuez à cette prise de conscience indispensable.
Comment ne pas voir à quel point cela est indispensable, quand, si près de nous, dimanche dernier sur une place de Varsovie, là-même où la mémoire tragique du ghetto devrait inciter au silence, à la méditation et au recueillement, se font entendre des cris hideux, qui en appellent à conserver une Europe – je cite – « pure, blanche et chrétienne » ?
Comment ne pas voir à quel point c’est indispensable quand, sur les réseaux sociaux mais également dans le débat politique, se diffuse une théorie aussi absurde que haineuse : celle du grand remplacement ?
Comment ne pas voir à quel point c’est indispensable quand nous devons faire face, ici, à un antisémitisme nourri par le « complotisme » et l’instrumentalisation de conflits extérieurs à notre pays ?
Le « complotisme » entretient de vieux préjugés antisémites liant les juifs au pouvoir et à l’argent. Il prend de nouvelles formes d’expression, notamment sur les réseaux sociaux, sous le masque de l’anonymat, sans aucune retenue. Il dessine une nouvelle « judéophobie » où les juifs sont l’objet fantasmé d’une haine obsessionnelle et quotidienne. A tel point que de très nombreuses victimes d’agressions verbales ou de violences antisémites ne déposent plus plainte : votre rôle d’information et d’accompagnement des victimes n’en est que plus précieux.
L’instrumentalisation des conflits extérieurs, c’est celle du conflit israelo-palestinien, mais aussi, disons-le, de conflits internes au monde musulman. Ces conflits ont transformé une partie de notre planète en théâtre de guerres parmi les plus cruelles que notre monde ait jamais connu. Leurs premières victimes sont les hérétiques, musulmans non conformes au dogme prêché, chrétiens, juifs ou athées.
Ces conflits, nous ne pouvons pas en tolérer l’importation sur notre sol, dans notre société.
Essentialiser nos compatriotes musulmans, les assigner culturellement à résidence, entretenir en leur sein une haine des juifs au nom d’une dénonciation d’Israël : c’est le projet de certains prédicateurs bien connus, et de ce point de vue, je veux dire ici sereinement, mais avec le sens des responsabilités, que lutter contre cela nécessite précisément que chacun prenne ses responsabilités : la responsabilité de choisir ses mots, la responsabilité de faire évoluer les lois quand c’est nécessaire, la responsabilité de rendre justice, la responsabilité d’informer et de sensibiliser, mais aussi la responsabilité de tendre, ou non, un micro complaisant.
Oui, je le dis ici à dessein, pour faire résonner ces mots dans la maison de la République : nous devons mener le combat contre l’islamo-fascisme, car c’est bien le terme qui convient.
Cet adversaire, car c’en est un, emprunte au fascisme dans ses pratiques comme dans ses crimes, et pervertit l’islam.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des groupuscules identitaires, post-fascistes, trouvent dans cette cause des alliés qui, sous couvert d’un antiracisme à géométrie variable ou d’un prétendu antisionisme qui est par ailleurs un contresens historique total, profèrent ou cautionnent les mêmes propos ouvertement racistes et antisémites, en faisant preuve de la même complaisance coupable pour le sexisme et l’homophobie.
Dans ce combat, il faut faire preuve de cohérence et de constance : on ne combattra pas efficacement les uns en négligeant le combat contre les autres, pas plus qu’on ne pourra vaincre les uns en s’alliant aux autres.
Sur le fond, la responsabilité de la représentation nationale consiste à s’appuyer sur les combats quotidiens menés par les associations et les citoyens engagés, pour combattre la banalisation du racisme, de l’antisémitisme, de la xénophobie, de l’homophobie dans les expressions publiques et sur les réseaux sociaux ; pour prohiber toute utilisation des tribunes politiques et publiques pour instrumentaliser les peurs, propager des stéréotypes, à dresser les uns contre les autres, à appeler à la préférence nationale et à la discrimination ; pour éviter d’exacerber les crispations identitaires qui divisent les Français, qui conduisent à la fracture nationale et qui mettent en danger la paix sociale ; pour lutter contre les amalgames politiques entretenus par la galaxie identitaire.
À cet égard, je voudrais saluer, cher Mario Stasi, votre demande de clarification au président du groupe de la France Insoumise, qui lui a permis de condamner enfin publiquement les déclarations antisémites avérées de la porte-parole d’une organisation connue pour essentialiser l’appartenance religieuse et raciale supposée.
On ne choisit pas de s’appeler le PIR par hasard : pour la société française, pour la paix sociale comme pour le message que porte notre pays, la politique du PIR, les solutions du PIR, c’est la pire des politiques, ce sont les pires solutions.
Mais ce soir, c’est le meilleur que nous célébrons. Le meilleur de la France : la laïcité, la lutte constante contre les discriminations, contre le racisme et contre l’antisémitisme.
Et puisqu’il est de coutume d’accompagner les célébrations d’anniversaires par un vœu, je sous souhaite donc le meilleur, pour vous-mêmes et votre action, au nom de la représentation nationale.
Celles et ceux qui consacrent leur énergie à lutter contre le racisme et l’antisémitisme sont ici chez eux, à l’Assemblée nationale, et c’était pour moi un devoir et un honneur que de le rappeler.